Traité de l'Humilité et de l'orgueil : Préface.

Tu m'as prié, Geoffroi mon frère, de t'exposer dans un traité plus complet ce que j'avais dit des degrés d'humilité devant les frères.
Voulant donc satisfaire dignement à cette demande — c'était juste — mais craignant de ne pas le pouvoir, je me suis souvenu du conseil de l'Évangile, et je n'ai pas osé, je l'avoue, commencer avant de m'être assis pour compter si mes ressources y suffiraient.
Or, l'amour a chassé cette crainte, qui me faisait redouter le ridicule d'un ouvrage inachevé.
Une autre crainte tout opposée lui a succédé : le danger de la vaine gloire, si je réussissais, était plus grave que celui de ma déconsidération si j'échouais.
Placé ainsi entre la crainte et l'amour comme dans un carrefour, j'ai hésité longtemps.
À quelle route me fier, pour être en sûreté ?
Si je parle utilement de l'humilité, je montrerai que je ne suis pas humble ; si je me tais humblement, je serai un inutile.
Aucune de ces routes n'était sûre, et pourtant, il me fallait en prendre une !
J'ai donc choisi de partager avec toi le fruit de mes entretiens — si fruit il y a — plutôt que de m'abriter tout seul au port du silence.
Et j'ai confiance que si, par hasard, mon traité te plaît, tes prières m'obtiendront de ne pas m'enorgueillir ; si, au contraire, ce qui est plus probable, je ne dis rien qui mérite ton attention, je n'aurai pas matière à superbe.


Saint Bernard : Traité de l'Humilité et de l'orgueil, Préface.

Extrait de : Saint Bernard
Coll. « Les Écrits des Saints »
Textes choisis et présentés par
Dom Jean Leclercq, bénédictin de Clervaux
Traduction Sœur Elisabeth de Solms, bénédictine
Les Éditions du Soleil Levant, Liège, Belgique, 1958

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