Traité de l'Humilité et de l'orgueil : Troisième partie.

VI. Le premier degré d’orgueil et le premier péché de l’Histoire.


CHAPITRE X
Le premier degré d'orgueil qui est la curiosité.

28. Le premier degré d'orgueil est donc la curiosité. Voici les signes auxquels on la dépiste : Regarde ce moine, qui d'abord t'inspirait confiance... Maintenant il laisse errer ses regards. N'importe où, qu'il soit debout, en marche, assis, il dresse la tête, tend l'oreille. Aux mouvements de l'homme extérieur, on voit que l'homme intérieur est changé. « L'homme pervers, dit l'Écriture, cligne de l'œil, piaffe, parle avec ses doigts » (Pr 6,12-13). A ces mouvements inusités du corps, on saisit la maladie de l'âme qui commence. Sa négligence sur elle-même lui fait, à la fois, relâcher sa propre surveillance, et la rend curieuse sur autrui. Puisqu'elle s'ignore elle-même on la met dehors, comme dit le Cantique, pour paître les chevreaux (Ct 1,7). Ces chevreaux qui signifient le péché, je ne me tromperai pas en les appelant yeux et oreilles ; de même que la mort est entrée dans le monde par le péché (Rm 5,12), ainsi elle entre par ces fenêtres dans l'âme. Le curieux s'occupe donc à les paître, et n'a pas souci de savoir en quel état il se laisse à l'intérieur.
Et, en vérité, si tu y prends garde, ô homme, il est lamentable que tu cherches à voir autre chose que toi. Écoute, curieux, ce que dit Salomon ; écoute, insensé, le Sage : « Garde ton cœur, dit-il, avec toute ta garde » (Pr 4,23). C'est-à-dire : que tous tes sens veillent, pour garder ce cœur d'où ta vie procède. Car, où vas-tu, ô curieux, lorsque tu te retires de toi ? A qui te confies-tu dans l'intervalle ? Pourquoi oses-tu lever les yeux au ciel, toi qui as péché contre le ciel ? Regarde la terre pour te connaître toi-même. Elle te mettra sous les yeux ta propre image, car tu es terre et tu iras en terre (Gn 3,19).

29. Il existe, cependant, deux motifs légitimes de lever les yeux : soit pour demander de l'aide, soit pour la donner. David a levé les yeux vers les montagnes pour demander (Ps 120,1), le Seigneur les a levés sur la foule pour donner du secours (Jn 6,5). L'un a donc levé les yeux par misère, l'autre par miséricorde, tous deux légitimement. Toi-même, si selon le lieu, le temps, l'affaire, tu lèves les yeux par nécessité (la tienne ou celle de ton frère), non seulement je ne te blâme pas, mais je te loue grandement. Tu as dans un cas l'excuse du malheur, dans l'autre le mérite de la miséricorde. Mais autrement, je dirais que tu imites, non le prophète, non le Seigneur, mais Dina ou Eve, ou Satan lui-même. Dina, quand elle sort pour paître ses chevreaux, est enlevée à son père ; et elle-même perd sa virginité (Gn 34,2). O Dina, pourquoi faut-il que tu voies ces femmes étrangères ! Quelle nécessité ? Quelle utilité ? Est-ce la seule curiosité ? Mais toi, qui regardes pour rien, ce n'est pas pour rien qu'on te regarde ! Tu observes curieusement, mais on t'observe plus curieusement encore ! Qui aurait cru que cette perte de temps inutile, cette curiosité vaine, deviendraient pour toi, pour les tiens, pour leurs ennemis, non pas inutiles, mais funestes ?

30. Et toi, Eve, placée dans le paradis (Gn 2) pour le travailler et le garder avec ton mari ! Si tu avais accompli ton office, tu devais passer un jour à une condition meilleure – plus ne serait besoin de t'occuper à nul travail, d'avoir souci d'aucune garde. Voici que tous les arbres du jardin sont à ta disposition pour ta nourriture, excepté celui qui s'appelle la science du bien et du mal. Quoi de plus acceptable : si tous les autres sont bons et ont le goût du bien, pourquoi manger de celui qui a, en plus, le goût du mal ? « Ne cherchez pas à savoir plus qu'il ne faut savoir » (Rm 12,3). Savoir le mal, ce n'est plus savoir, c'est perdre le sens. Garde donc ce qui t'est confié ; espère ce qui t'est promis. Évite ce qui est défendu, pour ne pas perdre le don de Dieu. Pourquoi portes-tu tant d'intérêt à ce qui sera ta mort ? Pourquoi y jeter si souvent ton regard, qui devrait être occupé ailleurs ? Prends-tu tant de plaisir à regarder du moins ce fruit qu'il n'est pas permis de manger ? « Je tends les yeux, diras-tu, non la main ; on ne m'a pas défendu de voir, mais de manger. Ne puis-je lever les yeux où je veux, puisque Dieu me les as donnés ? » L'Apôtre va répondre : « Tout m'est permis, mais tout n'est pas opportun » (1Co 6,12). Ce n'est pas encore la faute, mais c'est le signal de la faute. Car si ton âme veillait sur elle-même un peu plus attentivement, ta curiosité n'aurait pas ce temps libre. Ce n'est pas en soi une faute, mais c'est une occasion de faute, indice de celle qui est déjà commise, et cause de celle qui va se commettre. Pendant que tu es ainsi occupée ailleurs, le serpent se glisse secrètement dans ton cœur. Ses paroles sont insinuantes. Il ligote la raison par des flatteries, la crainte par des mensonges. « Certes, non, tu ne mourras pas ! » (Gn 3,4), dit-il. Il augmente l'intérêt en excitant la gourmandise, aiguise la curiosité en accumulant les convoitises. Enfin, il offre le défendu, et dérobe les largesses divines : tend la pomme et soustrait le paradis. Tu bois le venin, femme qui mourras, et qui engendreras des hommes pour mourir ! C'en est fini de leur bonheur, mais pas de tes enfantements. Tu en mettras au monde, des malheureux ! Nous naissons, nous mourons ; et si nous naissons mortels, c'est parce que nous sommes morts avant de naître. C'est à cause de toi, ce joug si lourd sur la tête de tes fils, aujourd'hui encore !

31. Et toi, « sceau de la ressemblance » (Ez 28,12), qui avais été placé, non pas dans le paradis, mais dans les délices du paradis de Dieu. Qu'avais-tu à demander de plus ? Plein de sagesse, parfait dans ta beauté, « ne cherche pas ce qui est au-dessus de toi, et ne scrute pas ce qui est plus fort que toi » (Si 3,22). Reste en toi-même, car tu tomberas plus bas que toi si tu t'aventures dans des grandeurs et des prodiges qui te dépassent. Mais pourquoi obliquer vers l'aquilon ? Je te vois, je t'aperçois, fouillant curieusement je ne sais quels abîmes au-dessus de toi. « Je placerai mon trône vers l'aquilon » (Is 14,13). Devant tous les autres habitants des cieux, voilà que tu prétends aller trôner tout seul, troublant ainsi la concorde de tes frères, la paix de toute la patrie céleste, et même, autant qu'il est en toi, le repos de la Trinité. Malheureux ! Jusqu'où va ta curiosité, pour que tu n'hésites pas, dans ton audace, à faire ce scandale à tes pairs, cette injure au roi ? « Des milliers de milliers le servent, des dizaines de centaines de milliers se tiennent debout devant lui » (Dn 7,10) ; là, personne n'est assis, excepté celui « qui trône sur les chérubins » (Ps 79,2), lui dont tous les autres sont les serviteurs. Et toi, tu aperçois je ne sais quoi, que les autres n'aperçoivent pas ; tu fouilles plus curieusement, tu passes outre au respect, et tu places un trône dans le ciel pour toi-même afin d'être « semblable au Très-Haut » (Is 14,14). A quelle fin ? Sur quelle assurance ? Insensé ! mesure tes forces, pèse la fin, médite les moyens ! Supposes-tu que le Très-Haut le sache, ou l'ignore ? Le veuille ou ne le veuille pas ? Comment pourrait-il vouloir ou ignorer le mal, quel qu'il soit, que tu prépares, lui dont la volonté est parfaite, dont la science est sans défaut ? Diras-tu, par hasard, qu'il sait ton crime et ne le veut pas, mais qu'il est impuissant à résister ? Mais à moins que tu doutes d'avoir été créé, je ne puis croire que tu doutes de la toute-puissance, de la parfaite science et bonté du Créateur, qui a pu te créer de rien, a su te faire beau comme tu es, et t'a voulu si grand ? Comment peux-tu donc penser que Dieu consentira à ce qu'il réprouve, et peut repousser ? Tu es un exemple, ou même l'origine, de ce dicton populaire, que tes pareils illustreront après toi et par toi : « Un trop bon maître prépare des serviteurs insolents » (cf. Pr 29,21). Ton œil est-il donc mauvais parce que Dieu est bon ? Quand tu prends une assurance perverse sur sa bonté, tu deviens impudent contre sa science, téméraire contre sa puissance.

32. Telle est donc, impie, ta pensée. Telle est l'iniquité que tu médites sur ta couche. Tu dis : « Le Créateur détruirait-il son œuvre ? Je sais qu'aucune de mes pensées n'échappe à Dieu – car il est Dieu. Et cette pensée qui me vient ne lui plaît pas – car il est bon. Je n'échapperai pas non plus à sa main, car il est puissant. Dois-je craindre, cependant ? Non, car il est bon ; et si le mal ne lui plaît pas en moi, bien moins encore en lui. Mon mal, c'est que je veuille quelque chose contre sa volonté ; son mal, ce serait de se venger. Donc, si grand que soit mon crime, Dieu ne peut pas vouloir le venger, puisqu'il ne peut ni ne veut y perdre sa bonté propre. »
Tu te trompes, malheureux ! Tu te trompes et tu ne trompes pas Dieu. Je le répète, c'est toi-même que tu trompes ; et l'iniquité se ment à elle-même, non à Dieu. Tu agis frauduleusement, mais sous ses yeux. C'est donc toi que tu trompes, et non pas Dieu. Puisque tout le bien qu'il a mis en toi te sert à méditer un grand mal contre lui, c'est à bon droit que ton injustice va produire la haine.
Quelle plus grande injustice, en effet, que de mépriser ton créateur à cause de cela même qui devrait le faire plus aimer ? Ne doutant pas de la puissance de Dieu, capable aussi bien de te détruire que de te créer, tu te confies en sa bonté, et espères que pouvant se venger il ne le voudra pas ! Quelle plus grande injustice que de rendre ainsi mal pour bien, et haine pour amour ?

33. Elle est digne, non pas d'une colère d'un instant, mais d'une haine éternelle, cette iniquité par laquelle tu espères égaler malgré lui le Très-Haut, ton doux maître. Tu t'imagines qu'il supportera d'avoir toujours sous les yeux un spectacle qui lui déplaît ; de t'avoir pour égal, alors qu'il ne le veut pas ? Tu crois qu'il ne te rejettera pas, bien qu'il puisse le faire ; qu'il choisira plutôt d'être malheureux lui-même que de te perdre. Tu penses qu'il peut te rejeter s'il le veut, mais que sa bonté (à ton idée) ne peut pas le vouloir. Certes, s'il est ce que tu penses, tu agis d'autant plus mal en ne l'aimant pas. Si vraiment, il supporte tes entreprises contre lui, plutôt que d'agir lui-même contre toi, es-tu assez mauvais pour ne pas l'épargner, toi, du moins, quand lui-même, pour t'épargner, ne s'épargne pas ?
Mais, c'est un blasphème contre la perfection divine, de croire que sa bonté entrave sa justice, comme s'il ne pouvait être à la fois bon et juste. Une bonté juste vaut mieux qu'une bonté lâche ; que dis-je : bonté sans justice n'est pas vertu. Puisque tu te montres donc ingrat envers cette gratuite bonté de Dieu, qui t'a créé gratis ; puisque tu ne crains pas cette justice dont tu n'as pas encore fait l'expérience, et que tu commets effrontément ce crime, dont tu te promets, à tort, l'impunité, voici que tu vas le connaître juste, celui que tu as méconnu bon. Tu tomberas dans ce piège que tu prépares à ton créateur ! Tu médites de lui imposer un déplaisir, qu'il pourrait éviter, s'il le voulait (mais il ne peut pas, crois-tu, le vouloir, et manquer en cela à cette bonté qui, à ta connaissance, n'a jamais puni personne) : voici que le juste Dieu va, en toute justice, te rendre la pareille, car il ne peut ni ne doit supporter que sa bonté soit insultée impunément. Il tempérera la sentence du châtiment, de telle sorte qu'il ne refuse pas le pardon si tu veux revenir en arrière, mais qu'à cause de ta dureté et de ton cœur impénitent tu ne puisses pas vouloir, et donc tu ne puisses pas éviter la peine.

34. Mais vois quelle est ta fourberie : Dieu a dit : « Le ciel est mon trône, la terre est l'escabeau de mes pieds » (Is 66,1). Il n'a pas dit : l'orient, l'occident, ou telle région du ciel, mais : le ciel (tout entier) est mon trône. Tu ne peux donc placer ton trône dans aucune partie du ciel, puisqu'il l'a tout entier choisi pour lui. Pas davantage sur la terre, qui est l'escabeau de ses pieds. La terre est, en effet, le lieu solide où siège l'Église fondée sur la pierre ferme (Mt 7,25). Que feras-tu ? Rejeté du ciel, tu ne peux faire ta demeure sur la terre. Choisis-toi dans l'air un lieu, non pour siéger, mais pour voler : toi qui as essayé d'ébranler l'immuable éternité, tu éprouveras le châtiment de ta propre instabilité. Et pendant que tu es ballotté entre ciel et terre, le Seigneur est assis sur un trône élevé et sublime, et toute la terre est pleine de sa majesté, si bien que tu ne peux trouver de place nulle part ailleurs que dans l'air.

35. Les séraphins, sur les ailes de leur contemplation, volent de l'escabeau au trône et du trône à l'escabeau (Is 6,2), leurs autres ailes voilent la tête du Seigneur et ses pieds. De même qu'un chérubin placé à la porte du paradis en interdit l'entrée (Gn 3,24) à l'homme pécheur, ainsi je crois que ces séraphins imposent une borne à ta curiosité : désormais tu ne scruteras plus (impudent et imprudent !) les profondeurs du ciel ; tu ne connaîtras pas davantage les mystères de l'Église sur la terre ; mais tu devras te contenter du cœur des orgueilleux, qui ne daignent pas être sur la terre comme les autres hommes, ni ne volent au ciel comme les anges. Mais bien que la tête du Seigneur te soit cachée dans le ciel, et ses pieds sur la terre, il t'est permis de voir quelque chose au milieu, juste assez pour l'envier : suspendu dans l'air, tu vois des anges qui descendent et des anges qui montent (Gn 28,12) ; quant à ce qu'ils entendent au ciel ou annoncent sur terre, tu l'ignores absolument.

36. Lucifer (Is 14,12), toi qui te levais le matin ! Tu n'es plus porte-lumière, mais porteténèbres ou même porte-mort ! Ta course normale était de l'orient au midi ; et toi, renversant l'ordre, tu vas vers l'aquilon ? Plus tu te hâtes vers les hauteurs, plus vite tu cours à ta perte. Mais, ô curieux, je serais tout de même curieux de chercher davantage à quoi tend ta curiosité. « Je placerai, dis-tu, mon trône vers l'aquilon » (Is 14,13). Ne voyons pas ici l'aquilon matériel, ni un trône matériel – puisque tu es un esprit. Je pense plutôt que l'aquilon désigne les réprouvés, et le trône ton pouvoir sur eux. Tu les as vus dans la prescience même de Dieu, car tu étais le plus proche de lui, et donc plus éclairé que tous les autres ; tu les as repérés comme un lieu vide et libre, car ils ne brillent pas des rayons de la sagesse, ne sont pas embrasés de l'amour de l'esprit. Tu as convoité de régner sur eux, pour verser en eux certaine clarté de ta malice, les enflammer des ardeurs de ta méchanceté : de même que le Très-Haut gouverne par sa puissance et sa bonté tous les fils d'obéissance, tu t'établirais sur tous les enfants d'orgueil, tu les mènerais par ton habile méchanceté et ta méchante habileté, et par là tu ressemblerais au Très-Haut. Mais je m'étonne que dans le présent de Dieu, tu aies vu d'avance ton royaume et n'aies pas vu ta chute ? Car si tu l'as prévue, quelle folie de vouloir régner au prix d'un tel malheur, de préférer un commandement misérable à une obéissance bienheureuse ? Ne valait-il pas mieux avoir ta part dans la région de lumière, que d'être le prince des ténèbres ? Je crois plutôt que tu ne l'as pas prévu ; soit pour la raison que j'ai déjà dite, à savoir que, pensant à la bonté de Dieu, tu as dit dans ton cœur : « Il ne punira pas » (et ainsi, ô impie, tu as irrité Dieu) ; soit parce qu'après la vision du règne, la poutre de l'orgueil a grandi aussitôt dans ton œil, t'empêchant de voir ta chute.

37. Ainsi, Joseph prévit son élévation, mais sans savoir d'avance qu'il serait vendu (Gn 37,7), et pourtant, il devait être vendu avant d'être exalté – non que je soupçonne ce vénérable patriarche d'être tombé dans l'orgueil, mais son exemple montre que ceux qui prévoient l'avenir par l'esprit de prophétie ne prévoient pas tous les événements ; ils en prévoient seulement une partie. Si l'on prétend accuser de vanité cet adolescent narrant ses songes (Gn 37,6), dont il ignorait encore le mystère, je pense, quant à moi, qu'il faut plutôt attribuer l'incident à ce mystère même, ou à la simplicité de l'enfant, qu'à sa vanité. S'il y eut un peu de vanité, elle fut, en tout cas, largement expiée par la souffrance. Il arrive, en effet, que Dieu révèle à certains tels événements agréables les concernant. Et même si l'esprit humain ne peut connaître ces perspectives sans tomber dans quelque vanité, ces événements se produiront de telle sorte cependant que la vanité dont l'homme s'est flatté, même légèrement, devant la grandeur de la révélation ou de la promesse, ne restera pas impunie. Comme un médecin use non seulement d'onguents, mais du fer et du feu pour couper et brûler tout ce qui se développe de nocif dans la plaie à guérir, et permettre aux remèdes d'agir, ainsi le médecin des âmes, Dieu, procure à cette âme des tentations, lui envoie des tribulations qui l'affligent et l'humilient pour qu'elle change sa joie en deuil, et pense que sa révélation est illusion. Il obtient ainsi que l'âme n'ait plus de vanité, et que la révélation puisse s'accomplir en toute vérité. Par les aiguillons de la chair il empêche Paul de s'enorgueillir, dans le moment même où il l'exalte par ses révélations (2Co 12,7). Il châtie l'incrédulité de Zacharie en lui liant la langue, mais ne change rien à l'événement annoncé par l'ange et qui sera manifesté en son temps (Lc 1,20). C'est ainsi que les saints avancent, par la gloire et l'humiliation, tandis qu'au milieu des dons extraordinaires qu'ils reçoivent, ils sentent en eux les mouvements de l'ordinaire vanité humaine. Alors, tout en apercevant l'œuvre de la grâce qui les dépasse, ils n'oublient pas ce qu'ils sont.

38. Mais quel rapport entre les révélations et la curiosité ? Je me suis laissé entraîner à parler de ces choses parce que je voulais montrer qu'avant sa chute, l'ange réprouvé a pu prévoir cette domination qu'il a reçue dans la suite sur les hommes réprouvés ; mais qu'il n'a pas prévu sa damnation. Mais j'ai ainsi soulevé, plutôt que résolu, ces quelques questions. Résumons donc le débat : il est tombé de la vérité par la curiosité ; car il a d'abord regardé curieusement ce qu'il a ensuite convoité illicitement, espéré contre tout droit. C'est donc à juste titre, que, parmi les degrés d'orgueil, la curiosité revendique le premier degré pour sien, elle que nous trouvons au commencement de l'histoire du péché. Mais si on ne réprime pas la curiosité, on tombe vite dans la légèreté de l'âme, qui est le second degré.



Saint Bernard : Traité de l'Humilité et de l'orgueil, Troisième partie.

Extrait de : Saint Bernard
Coll. « Les Écrits des Saints »
Textes choisis et présentés par
Dom Jean Leclercq, bénédictin de Clervaux
Traduction Sœur Elisabeth de Solms, bénédictine
Les Éditions du Soleil Levant, Liège, Belgique, 1958

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