Homélies sur le « Missus Est »
Louanges de la Vierge Mère.

Préface

La dévotion m’invite à écrire, mes occupations m’en empêchent. Mais puisque la maladie, pour le moment, m’écarte de la communauté, je ne veux pas perdre le peu de temps que je peux dérober au sommeil. Je vais donc tenter de mener à bien un projet qui m’est souvent venu à l’esprit : commenter, à la louange de la Vierge Mère, ce passage de l’Evangile selon saint Luc qui contient le récit de l’Annonciation. Je sais bien que ce travail ne m’est pas réclamé par un besoin qu’en auraient mes frères – et mon devoir est de toujours m’employer à leurs progrès – mais puisqu’il ne m’empêche pas de rester entièrement à leur service, je ne crois pas qu’ils aient à se plaindre de ce que je réponde aux exigences de ma dévotion personnelle.

Première homélie



Deuxième homélie


2. Ainsi, celle qui devait concevoir et enfanter le Saint des Saints, reçut, pour être sainte de corps, le don de virginité, et, pour l'être d'esprit, le don d'humilité. La Vierge royale, parée des joyaux de ces deux vertus, le corps et l'esprit resplendissant d'un double éclat, connue jusqu'au ciel pour sa beauté, attira sur elle les regards des anges, si bien qu'elle éveilla le désir dans l'âme du Roi et fit venir à elle le messager divin. C'est ce que nous enseigne l'Evangéliste lorsqu'il précise que l'ange fut envoyé par Dieu à une Vierge, par le Très-Haut à la plus humble, par le Seigneur à sa servante, par le Créateur à sa créature. Quelle bonté de la part de Dieu ! et quelle distinction pour la Vierge ! Accourez, mères et filles, vous toutes qui après Eve, enfantez et êtes enfantées dans la douleur, approchez de ce lit virginal, entrez si vous le pouvez dans la chambre nuptiale de votre chaste soeur. Voici que Dieu envoie une ambassade à la Vierge, voici que l'ange parle à Marie. Mettez votre oreille à la cloison, écoutez bien ce qu'il lui annonce, et jugez si ce n'est pas pour vous un message consolant.

3. Réjouis-toi, Adam, notre père, et toi surtout, Eve, notre mère. Vous avez été à la fois nos parents à tous et nos meurtriers, et, ce qui est plus grave, nos meurtriers avant même d'être nos parents. Une de vos filles – et quelle fille ! – vous consolera, toi surtout qui fus la cause première de tout le mal et dont l'opprobre a rejailli sur toutes les femmes. Le temps est venu où cet opprobre sera levé et où l'homme n'aura plus de reproches à faire à la femme, comme ce jour où, pour se trouver à lui-même de mauvaises excuses, il l'accusa cruellement et dit à Dieu : Cette femme que tu m'avais donnée m'a présenté du fruit de l'arbre, et j'en ai mangé (Gn,3,12). Viens donc, Eve, cours auprés de Marie. Que la mère recoure à sa fille, que la fille réponde pour sa mère et efface sa faute, qu'elle réconcilie la mère avec son père. Car si l'homme jadis tomba par la femme, il ne peut être relevé maintenant que par la femme. Que disait donc Adam ? Cette femme que tu m'avais donnée m'a présenté du fruit de l'arbre, et j'en ai mangé. C'étaient de vilaines paroles, qui aggravaient sa faute au lieu de l'effacer. Mais la divine Sagesse a triomphé de tant de malice : cette occasion de pardonner que Dieu avait vainement tenté de faire naître en interrogeant Adam, il la trouve maintenant dans le trésor de son inépuisable bonté. A la première femme, il substitue une autre femme, sage quand la première était folle, humble autant qu'elle était orgueilleuse. Au lieu du fruit de mort, elle présente à l'homme le pain de vie et remplace l'amer poison par la douceur d'un aliment éternel. Adam devra donc changer son injuste accusation en expression de gratitude et dire : "Seigneur, cette femme que tu m'avais donnée m'a présenté le fruit de l'arbre de vie, et j'en ai mangé ; sa saveur m'a été plus délicieuse que le miel, parce qu'en lui tu m'as vivifié". Voilà donc pourquoi l'ange fut envoyé à la Vierge admirable, digne de tous les honneurs, à la femme qu'il faut vénérer infiniment entre toutes les femmes, parce qu'en réparant la faute des parents elle rend la vie à toute leur descendance.

4. Un ange fut envoyé à la Vierge. C'est la Vierge de corps et d'esprit, vierge par état aussi, telle que la décrit l'Apôtre, sainte d'esprit et de corps (1 Co 7,34). Elle n'a pas été découverte au dernier moment, ni par hasard, mais élue dès l'origine, connue d'avance par le Très-Haut qui se l'est préparée ; les anges l'ont gardée, les Patriarches l'ont annoncée en figures, les Prophètes l'ont promise. Interrogez les Ecritures pour vérifier ce que je dis. Si vous le voulez, je donnerai moi-même quelques-unes des prueves qu’on peut en rassembler. A qui, sinon à elle, pensait Dieu, lorsqu'il disait au serpent : Je mettrai l'hostilité entre toi et la femme ? (Gn 3,15) Si vous doutez qu'il s'agisse de Marie, écoutez la suite : Elle-même t’écrasera la tête. Cette victoire était réservée à Marie. C'est elle, sans doute possible, qui broya cette tête venimeuse lorsqu'elle réduisit au néant toutes les suggestions du Malin, qu'il s'agisse des séductions de la chair ou de l'orgueil de l'esprit.


17. Le verset s’achève sur ces mots : Et le nom de la vierge était Marie (Lc 1,27). Arrêtons-nous un peu à ce nom qui, dit-on, signifie Etoile de la mer et qui convient parfaitement à la Vierge Mère. Rien de plus juste que de la comparer à un astre qui émet ses rayons sans être altéré, comme la Vierge enfante son Fils sans aucune lésion de son corps. Le rayon n'ôte rien à la luminosité de l'astre, et la naissance du Fils ne diminue pas l'intérité de la Vierge. Elle est donc cette magnifique étoile de Jacob, dont les rayons éclairent l'univers entier, illuminent le ciel et pénétrent jusqu'aux enfers. La Vierge, rayonnant sur toute la terre, réchauffe les âmes plutôt que les corps, favorise la croissance des vertus et consume les vices. Elle est vraiment cette étoile la plus belle qui devait nécessairement se lever au-dessus de la mer immense, toute brillante de mérites et d'exemples éclairants. Qui que vous soyez, si vous comprenez que votre vie, plutôt qu'un voyage en terre ferme, est une navigation, parmi les tempêtes et les tornades, sur les flots mouvants du temps, ne quittez pas des yeux la lumière de cette étoile, afin d'éviter le naufrage. Lorsque vous assaillent les vents des tentations, lorsque vous voyez paraître les écueils du malheur, regardez l'étoile, invoquez Marie. Si la colère, l'avarice, les séductions charnelles viennent secouer la légère embarcation de votre âme, levez les yeux vers Marie. Si, troublés par l'atrocité de vos crimes, honteux des souillures de votre conscience, épouvantés par la menace du jugement, vous commencez à vous engloutir dans le gouffre de la tristesse et l'abîme du désespoir, pensez à Marie. Dans le péril, l'angoisse, le doute, pensez à Marie, invoquez Marie. Que son nom ne quitte pas vos lèvres ni vos coeurs. Et pour obtenir son intercession, ne vous détournez pas de son exemple. En la suivant, vous ne vous égarerez pas ; en la suppliant, vous ne connaîtrez pas le désespoir ; en pensant à elle, vous éviterez toute erreur. Si elle vous soutient, vous ne sombrerez pas ; si elle vous protège, vous n'aurez rien à craindre ; sous sa conduite, vous ignorerez la fatigue ; grâce à sa faveur, vous atteindrez le but. Et ainsi vous saurez par votre propre expérience tout ce que signifient ces mots : Et le nom de la Vierge était Marie. Mais ici, interrompons-nous un moment, car nous ne saurions nous contenter de regarder en passant l’éclat d’une si haute lumière. Pour me servir des mots de l’Apôtre, il nous est bon d’être en ce lieu (Matt 17,4) et de contempler à loisir, en silence, ce qu’un discours laborieux ne suffira jamais à exprimer. Et la contemplation recueillie de cette scintillante étoile nous préparera à aborder avec une ferveur nouvelle le commentaire de la suite du texte.


Troisième homélie


4. Je te salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi. L'ange n'a pas dit : Le Seigneur est en toi, mais bien : avec toi. Dieu, qui par la simplicité de sa nature est partout également présent, l'est pourtant d'une manière différente dans les créatures raisonnables et dans les autres ; et parmi les créatures raisonnables, les bons et les méchants éprouvent d'autres effets de sa présence. Chez les êtres sans raison, il est présent mais non compris, tandis que les êtres doués de raison peuvent le saisir par la connaissance, et que les bons seuls le saisissent par l'amour. Des bons seuls on peut dire qu'étant en eux, Dieu est aussi avec eux, par l'accord des volontés. Comme ils plient leur volonté à la justice, Dieu peut sans s'abaisser vouloir ce qu'ils veulent, et en ne s'écartant pas de la volonté divine, ils s'unissent plus particulièrement à Dieu. Cependant, s'il est vrai que Dieu est avec tous les saints, il est très spécialement avec Marie : leur accord est tel qu'il s'est attaché non seulement la volonté, mais la chair même de Marie, faisant de sa substance et de celle de la Vierge un seul Christ, ou plutôt encore devenant avec elle un seul Christ. Ce Christ, bien qu'il ne soit tout entier issu de Dieu, ni tout entier issu de la Vierge, appartient pourtant, tout entier, à chacun d'eux, en sorte qu'il n'y a pas deux fils, mais un fils unique de Dieu et de la Vierge. C'est pourquoi l'ange dit : Je te salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi. Non seulement Dieu le Fils, que tu as revêtu de ta chair, est avec toi ; mais aussi Dieu le Saint-Esprit, de qui tu as conçu ; et encore Dieu le Père, qui a engendré celui que tu as conçu. Le Père est avec toi, qui fait que le Fils soit à lui et à toi. Le Fils est avec toi, qui pour fonder en toi le mystère admirable, s'est miraculeusement introduit dans ton sein sans briser le sceau de ta virginité. Le Saint-Esprit est avec toi, lui qui avec le Père et le Fils sanctifie tes entrailles. Ainsi donc le Seigneur est avec toi.


Quatrième homélie


1. Il n'est pas de doute que toutes les louanges que nous adressons à la Mère de Dieu ne s'appliquent aussi bien à son Fils ; et réciproquement, lorsque nous rendons hommage au Fils, nous ne perdons pas de vue la gloire de la Mère. Si, d'après Salomon un fils sage est la gloire de son père (Pr,10,1), il est plus glorieux encore d'être la mère de la Sagesse.


8. Tu as appris, Marie, et l'événement et la manière dont il doit s'accomplir, l'un et l'autre merveilleux. Réjouis-toi, fille de Sion, tressaille de joie, fille de Jérusalem (Za 9,9). Puisque tu as entendu cette parole de joie, nous souhaitons entendre de ta bouche l'heureuse réponse qu'appellent nos désirs, afin que tremblent d'allégresse nos os humiliés (Ps 50,10). Tu as appris l'événement et tu y as cru ; ajoute foi également à la façon dont il s'accomplira. On t'a dit que tu concevrais un fils, non de l'homme mais du Saint-Esprit. L'ange attend ta réponse : il va être temps qu'il retourne auprès de Dieu qui l'a envoyé. Nous aussi, ô Souveraine, nous malheureux sur qui pèse la sentence de damnation, nous attendons une parole de compassion. Voici qu'on t'offre le prix de notre salut : si tu l'acceptes, nous serons aussitôt délivrés. Nous avons tous été créés par le Verbe éternel de Dieu, mais voici que nous mourrons ; de ta brève réponse dépend que nous soyons rappelés à la vie. Telle est la supplique que t'adresse, Vierge miséricordieuse, le pitoyable Adam exilé du paradis avec sa malheureuse descendance. C'est la supplique d'Abraham, de David, de tous les Patriarches, tes propres ancêtres, qui eux aussi habitent la contrée ensevelie dans l'ombre de la mort. Le monde entier, prosterné à tes genoux, se joint à cette prière. Car c'est à tes lèvres qu'est suspendue la consolation des misérables, le rachat des captifs, la délivrance des condamnés, en un mot le salut de tous les fils d'Adam, de toute ta race. Hâte-toi de donner ta réponse. O Souveraine, prononce cette parole qu'attendent la terre et les enfers et les cieux. Le Roi lui-même, le Seigneur, qui a si fort convoité ta beauté, désire avec la même ardeur ton consentement, dont il a voulu faire la condition du salut universel. Tu lui as plu par ton silence, mais maintenant tu lui plairas davantage par ta parole, et il te crie du haut du ciel : « O toi qui es belle entre les femmes, fais-moi entendre ta voix. » Si tu lui fais entendre ta voix, il te fera voir notre salut. N’est-ce pas là ce que tu cherchais en gémissant, en soupirant, en priant jour et nuit ? Eh quoi ? es-tu celle à qui fut adressée la promesse de notre salut, ou bien devons-nous en attendre une autre ? Non, n’est-ce pasd, c’est bien toi, tu es cette femme promise, attendue, désirée, de qui ton saint ancêtre Jacob, aux approches de la mort, espérait la vie éternelle, lorsqu’il disait : J’attendrai ton salut, Seigneur (Gen 49,18). C’est bien en toi et par toi que Dieu, notre roi, a résolu dès l’origine d’opérer le salut sur la terre. Pourquoi espérerais-tu d’une autre femme ce qui t’est offert ? Pourquoi attendre que se fasse par une autre ce qui ne tardera pas à s’accomplir par toi, pourvu que tu donnes ton consentement et que tu répondes d’un seul mot ? Réponds bien vite à l'ange, ou plutôt, par l'ange, au Seigneur. Prononce une parole et tu recevras la Parole. Profère ta parole et tu concevras la Parole divine. Emets une parole éphémère et tu possèderas la Parole éternelle. Pourquoi tarder ? pourquoi trembler ? Crois, confie-toi, et accueille. Humble, sache être audacieuse ; réservée, n'aie pas peur. Il n'est pas question que ta simplicité virginale renonce maintenant à son habituelle prudence, mais voici bien la seule occasion où tu ne doives pas craindre de te montrer présomptueuse. La pudeur t'inspirait un louable silence, mais maintenant la ferveur doit t'inciter à parler. Vierge bienheureuse, ouvre ton coeur à la foi, tes lèvres au consentement, ton sein au Créateur. Le désiré de toutes nations est là qui frappe à ta porte. Oh ! s'il allait passer son chemin tandis que tu tardes, et s'il te fallait recommencer à chercher avec angoisse celui que ton coeur aime ! Lève-toi, cours, ouvre ! Lève-toi par la foi, cours par la dévotion, ouvre par le consentement.

9. Voici, dit-elle, la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole. L'humilité est la compagne habituelle de la grâce divine, car Dieu résiste aux orgueilleux mais accorde sa faveur aux humbles. Marie répond donc humblement, pour préparer la demeure de la grâce. Voici la servante du Seigneur. Elle est choisie pour mère de Dieu, et elle se nomme sa servante. C'est la marque d'une bien grande humilité que de ne pas céder à une telle gloire. Il n'est pas difficile d'être humble dans l'abjection, mais c'est une rare vertu que l'humilité parmi les honneurs. Pauvre homme de rien que je suis, s'il arrive que l'Eglise, trompée par les airs que je me donne, m'élève à la plus modeste des dignités – et si Dieu le permet, ce ne peut être que pour mes péchés ou pour ceux de mes inférieurs – ne vais-je pas aussitôt oublier ce que je suis en réalité et me croire tel que m'imaginent les autres hommes (qui ne vivent pas dans mon coeur) ? Je ferai crédit à ma propre réputation, sans prendre garde aux démentis de ma conscience. Au lieu de mesurer l'honneur à mes vertus, je mesurerai mes vertus aux honneurs qu'on me rend, et je me croirai d'autant plus saint que j'occuperai un rang plus élevé. Vous pouvez voir dans l'Eglise bien des gens qui, ennoblis et parvenus à la richesse, se gonflent d'orgueil, oubliant la bassesse de leur ancienne condition, rougissant de leur naissance et méprisant leurs parents demeurés pauvres. Vous pouvez voir des hommes cupides voler aux dignités ecclésiastiques et se targuer d'être parvenus à la sainteté pour avoir simplement changé d'habit, et non d'esprit. Ils se croient dignes des honneurs qu'ils n'ont obtenus que par la brigue ; pis encore – oserai-je le dire ? – ils attribuent à leurs mérites ce qu'ils ont acquis à prix d'or. Et je ne dis rien de ceux qu'aveugle l'ambition et pour qui toute charge n'est qu'une occasion de s'enorgueillir.
11. Tous, tant que nous sommes, écoutons donc la réponse de celle qui fut choisie pour être la Mère de Dieu et qui cependant ne perdit pas son humilité : Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole. Ce fiat est l’expression d’un désir, et non d’une dernière hésitation. En disant ces mots, Marie exprime la vivacité de son désir plutôt qu’elle n’en demande la réalisation, à la façon de quelqu’un qui garderait des doutes. Rien n’interdit, toutefois, de voir dans ce fiat une prière. Car personne ne prie sans être animé par la foi et l’espérance. Dieu veut que nous lui demandions même les choses qu’il nous promet. C’est pourquoi, sans doute, il commence par nous promettre bien des choses qu’il a résolu de nous donner : la promesse éveille notre piété, et la prière nous fait mériter ce que nous allions recevoir gratuitement. C’est ainsi que le Seigneur, qui veut que tous les hommes soient sauvés, nous extorque des mérites : en nous prévenant et en nous donnant ces mérites qu’il récompensera, il agit gratuitement en nous-mêmes, afin de ne pas nous faire des dons immérités. La Vierge l’a compris, puisqu’au moment de la promesse gratuite elle joint le mérite de sa prière : « Qu’il me soit fait selon ta parole. Que la Parole fasse de moi ce que dit ta parole. Que la Parole qui dès l’origine était auprès de Dieu se fasse chair de ma chair selon ta parole. Que s’accomplisse en moi, je t’en supplie, non pas la parole proférée, qui est transitoire, mais cette Parole que j’ai conçue pour qu’elle demeure : celle qui s’est revêtue de chair, et non ce vain souffle. Qu’elle ne soit pas seulement perceptible à mes oreilles, mais visible à mes yeux, palpable à mes mains, et que je puisse la porter dans mes bras. Que ce soit non la parole écrite et muette, mais la Parole incarnée et vivante : non pas ces signes inertes tracés sur le parchemin desséché, mais cette Parole à forme humaine, imprimée, vivante dans mes chastes entrailles ; non pas modelée par une plume sans vie, mais gravée par l’opération du Saint-Esprit. Que me soit fait ainsi ce qui jamais n’advint ni n’adviendra à personne. Dieu, jadis, a parlé souvent et de bien des manières aux Patriarches et aux Prophètes ; sa parole leur a été donnée à entendre, à proclamer ou à pratiquer, par l’oreille, par l’œil, par la main. Quant à moi je demande qu’elle soit mise dans mes entrailles, selon ta parole. Je ne souhaite pas la parole proférée de la prédication, ou celle qu’expriment symboles et figures, ou celle qui se communique à l’imagination dans les songes. J’appelle la Parole insufflée en moi dans le silence, incarnée dans une personnes, corporellement mêlée à ma chair. Cette Parole n’avait ni la possibilité ni le besoin d’être faite en elle-même : qu’elle daigne donc se faire en moi selon ta parole. Qu’elle se fasse pour le monde tout entier, mais qu’en particulier il me soit fait selon ce que m’a annoncé l’ange. »


Homélies sur le « Missus Est », de Saint Bernard.

Extrait des « Œuvres mystiques » de Saint Bernard
Préface et traduction d’Albert Béguin.
Editions du Seuil, Paris, 1953.


 

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